Préface des Éditions de Londres

Les « Lettres d’Afrique » d’Arthur Rimbaud est une compilation des lettres écrites à sa famille et à ses correspondants, ainsi que les lettres reçues. La période couverte va de son arrivée à Aden en août 1880 en provenance de Chypre jusqu’à son retour à Marseille en 1891 où il entre à l’hôpital pour être amputé d’une jambe.

Elles nous montrent un Rimbaud bien différent du poète.

Un voyageur toujours prêt à découvrir de nouveaux horizons.

Un explorateur toujours prêt à s’enfoncer plus avant dans des pays inconnus.

Un négociant qui veut s’enrichir rapidement pour pouvoir ensuite vivre de ses rentes. Malheureusement pour lui, il est trop sensible et se laisse facilement exploiter par les autres et il ne réussira pas à faire fortune.

Un insatisfait qui se plaint continuellement de la vie menée dans cette région mais ne se décide pas à partir.

Un étranger qui veut quitter Aden, rêve de Zanzibar mais ne s’y rend jamais.

Pendant plus de dix ans, il vivra entre Aden et l’Éthiopie. Il reviendra en France pour mourir.

Les différentes phases de son séjour en Afrique

En arrivant à Aden en août 1880, il trouve un travail comme employé chez un marchand de café, la maison Mazeran, Viannay et Bardey.

Fin 1880, il est envoyé par cette maison dans le Harar pour s’occuper de l’agence et des magasins qui y sont situés. Il y reste jusqu’à la fin 1881 et revient à Aden en janvier 1882.

Il demeure à Aden jusqu’en mars 1883, même s’il a toujours des velléités de départ pour Zanzibar.

Il repart alors au Harar où il a la responsabilité du comptoir.

En mars 1884, en raison des troubles de la guerre dans la région, le comptoir du Harar est fermé et Rimbaud revient à Aden. Il est à nouveau employé par la même maison pour laquelle il continue à travailler jusqu’en Octobre 1885.

Il s’est alors associé à Labatut, un marchand vendant des armes au roi Ménélik. Il doit s’occuper du transport de ces armes en organisant une caravane pour aller du port de Tadjoura jusqu’à Ankober où réside le roi Ménélik. Cette expédition connaîtra beaucoup de problèmes et l’occupera jusqu’en août 1887.

Il fait alors un court séjour au Caire.

Puis il retourne à Aden où il cherche une occupation pensant toujours aller à Zanzibar. Finalement, début 1888, il repart pour le Harar où il monte à son compte un comptoir commercial en relation avec un négociant d’Aden, Alfred Tian.

Il restera au Harar jusqu’au début 1891 où il doit rentrer en France pour se soigner.

Rimbaud, le voyageur invétéré

Rimbaud a toujours la bougeotte avec toujours l’intention d’aller à Zanzibar : « À la fin de mon deuxième mois ici, c'est-à-dire le 16 octobre, si l'on ne me donne pas deux cents francs par mois, en dehors de tous frais, je m'en irai. J'aime mieux partir que de me faire exploiter. J'ai d'ailleurs déjà environ 200 francs en poche. J'irais probablement à Zanzibar, où il y a à faire. »

Durant son premier séjour au Harar, il exprime de façon récurrente son intention de partir : « J'ai eu d'ailleurs des démêlés désagréables avec la direction et le reste, et je suis à peu près décidé à changer d'air prochainement. J'essayerai d'entreprendre quelque chose à mon compte dans le pays ; et, si ça ne répond pas (ce que je saurai vite), je serai tôt parti pour, je l'espère, un travail plus intelligent sous un ciel meilleur. »

Rimbaud est un voyageur dans l’âme, il ne supporte pas l’idée de rester au même endroit en France : « En tous cas, ne comptez pas que mon humeur deviendrait moins vagabonde, au contraire, si j'avais le moyen de voyager sans être forcé de séjourner pour travailler et gagner l'existence, on ne me verrait pas deux mois à la même place. Le monde est très grand et plein de contrées magnifiques que l'existence de mille hommes ne suffirait pas à visiter. »

Rimbaud en Afrique, le contraire d’un poète

Pendant tout son séjour en Afrique, il semble avoir complètement oublié la poésie et la littérature.

Il demande régulièrement à sa famille de lui envoyer des livres. Or, il ne s’agit pas de littérature ni de poésie, mais de traités sur les techniques de construction, la métallurgie, l’hydraulique, la architecture, la maçonnerie, et parfois aussi les langues.

Rimbaud, l’éternel insatisfait

Durant son premier séjour au Harar en 1881, Rimbaud exprime régulièrement son ennui à sa famille. Il est déçu et découragé par ses tentatives infructueuses d’expéditions : « Et que voulez-vous que je vous raconte de mon travail d'ici, qui me répugne déjà tellement, et du pays, que j'ai en horreur, et ainsi de suite. Quand je vous raconterais les essais que j'ai faits avec des fatigues extraordinaires et qui n'ont rien rapporté que la fièvre, qui me tient à présent depuis quinze jours de la manière dont je l'avais à Roche il y a deux ans ? Mais, que voulez-vous ? je suis fait à tout à présent, je ne crains rien. »

Rimbaud ne supporte pas la vie à Aden : « Il n'y a aucun arbre ici, même desséché, aucun brin d'herbe, aucune parcelle de terre, pas une goutte d'eau douce. Aden est un cratère de volcan éteint et comblé au fond par le sable de la mer. On n'y voit et on n'y touche donc absolument que des laves et du sable qui ne peuvent produire le plus mince végétal. »

Rimbaud ambitionne d’être rentier

« À quoi servent ces allées et venues, et ces fatigues et ces aventures chez des races étranges, et ces langues dont on se remplit la mémoire, et ces peines sans nom, si je ne dois pas un jour, après quelques années, pouvoir me reposer dans un endroit qui me plaise à peu près et trouver une famille, et avoir au moins un fils que je passe le reste de ma vie à élever à mon idée, à orner et à armer de l'instruction Ia plus complète qu'on puisse atteindre à cette époque, et que je voie devenir un ingénieur renommé, un homme puissant et riche par la science ? »

Rimbaud, le négociant d’armes

Fin 1885, Rimbaud est contacté par Labatut pour livrer des armes au roi Ménélik du Choa. Il en attend une grosse somme et plaque son travail à Aden pour s’occuper de former la caravane qui ira de Tadjoura où doivent arriver les armes de France jusqu’à Ankober, la capitale du Choa : « Il me vient quelques milliers de fusils d'Europe. Je vais former une caravane, et porter cette marchandise à Ménélik, roi du Choa. La route pour le Choa est très longue : deux mois de marche presque jusqu'à Ankober, la capitale, et les pays qu'on traverse jusque-là sont d'affreux déserts. S'il ne m'arrive pas d'accidents, je compte y arriver, être payé de suite et redescendre avec un bénéfice de 25 à 30 mille francs réalisé en moins d'un an. »

Malheureusement pour lui, les choses ne se passeront pas bien. Le départ de la caravane sera longtemps reporté. Labatut meurt pendant ce temps. La vente des fusils est, pendant un certain temps, interdite par le gouvernement français. Quand il arrivera à livrer le roi Ménélik, il sera très mal payé et les créanciers de Labatut se précipiteront sur lui pour lui réclamer les dettes de Labatut réelles ou imaginaires. « Traqué par la bande des prétendus créanciers de Labatut, auxquels le roi donnait toujours raison, tandis que je ne pouvais jamais rien recouvrer de ses débiteurs, tourmenté par sa famille abyssine qui réclamait avec acharnement sa succession et refusait de reconnaître ma procuration, je craignais d'être bientôt dépouillé complètement et je pris le parti de quitter Choa, et je pus obtenir du roi un bon sur le gouverneur du Harar, Dedjazmatche Mékonmène, pour le paiement d'environ 9 000 thalers, qui me restaient redus seulement, après le vol de 3 000 thalers opéré par Ménélik sur mon compte, et selon les prix dérisoires qu'il m'avait payés. Je sors de l'opération avec une perte de 60% sur mon capital, sans compter vingt et un mois de fatigues atroces passés à la liquidation de cette misérable affaire. »

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